L’Ordre des Barreaux Francophones et Germanophone et l’Orde van Vlaamse Balies « prennent les initiatives et les mesures utiles (…) pour la défense des intérêts de l'avocat et du justiciable » (article 495 du code judiciaire).
C’est par la loi du 4 juillet 2001, qui a créé les Ordres communautaires, que ceux-ci ont obtenu cet extraordinaire pouvoir de défendre non seulement les intérêts de leurs membres, comme toute association professionnelle, mais aussi les intérêts de leurs clients, les justiciables.
Défendre les intérêts des justiciables ne signifie cependant pas défendre les intérêts des citoyens. La capacité à agir d’AVOCATS.BE est donc limitée à l’intérêt des justiciables.
Les limites de cet intérêt à agir ont été progressivement fixées par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.
Par un arrêt du 6 juillet 2017 (dans le cadre d’une procédure initiée par AVOCATS.BE au sujet de la surpopulation dans les prisons), la Cour constitutionnelle a estimé qu’il fallait interpréter l’article 495 du Code judiciaire comme permettant à AVOCATS.BE d’introduire une action visant à défendre les intérêts collectifs des justiciables en tant que sujets de décisions judiciaires touchant les libertés fondamentales telles qu’elles sont reconnues par la Constitution et par les traités internationaux liant la Belgique.
Par deux arrêts rendus le 18 juillet 2019 arrêts n° 2019-111 et 2019-112), la Cour constitutionnelle va préciser son analyse.
« Il ressort de l’article 495 du Code judiciaire, lu en combinaison avec les articles 2 et 87 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, que les Ordres des barreaux ne peuvent agir devant la Cour comme partie requérante ou partie intervenante pour défendre l’intérêt collectif des justiciables qu’en ce qu’une telle action est liée à la mission et au rôle de l’avocat en ce qui concerne la défense des intérêts du justiciable ».
Elle précise encore : « Des mesures qui n’ont aucune incidence sur le droit d’accès au juge, sur l’administration de la justice ou sur l’assistance que les avocats peuvent offrir à leurs clients, que ce soit lors d’un recours administratif, lors d’une conciliation amiable ou lors d’un litige soumis aux juridictions judiciaires ou administratives, ne relèvent dès lors pas de l’article 495 du Code judiciaire, lu en combinaison avec les articles 2 et 87 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 ».
Elle indique encore : « Il appartient dès lors à l’Ordre des Barreaux francophones et germanophone de démontrer que des dispositions qui ne portent pas sur la profession d’avocat en tant que telle mais sur une catégorie de justiciables déterminée sont de nature à affecter directement et défavorablement les avocats dans leur mission de défense des intérêts des justiciables ».
AVOCATS.BE a dès lors établi une grille de lecture de cette jurisprudence.
Critères pertinents : les dispositions critiquées ont-elles une incidence sur
- la mission et le rôle de l’avocat en ce qui concerne la défense des intérêts du justiciable,
- le droit d’accès au juge,
- l’administration de la justice
- l’assistance que les avocats peuvent offrir à leurs clients, que ce soit lors d’un recours administratif, lors d’une conciliation amiable ou lors d’un litige soumis aux juridictions judiciaires ou administratives,
- les libertés fondamentales (Constitution + traités internationaux liant la Belgique) en lien ou pas avec les points précédents ?
Critères non pertinents
- la circonstance que des mesures seraient susceptibles de faire naître de nombreux litiges qui seraient portés devant les tribunaux
- la circonstance qu’AVOCATS.BE ait été entendu dans le cadre des travaux parlementaires.
Les précisions apportées par la Cour constitutionnelle délimitent la capacité d’AVOCATS.BE d’ester en justice dans l’intérêt des justiciables. Si on peut admettre certaines de ces limites (celles qui conduisent à rejeter des recours tels que ceux relatifs à la loi sur les successions ou à la loi sur les régimes matrimoniaux qui concernent du droit matériel), il serait particulièrement regrettable que la Cour rejette des recours d’AVOCATS.BE lorsqu’ils concernent les droits fondamentaux des justiciables.
Il ne semble pas que la Cour exclue la possibilité d’AVOCATS.BE d’intervenir pour défendre les droits fondamentaux sans lien avec les missions de l’avocat mais elle parait se réserver le droit de le faire.
Il ne semble pas encore parfaitement clair que cette jurisprudence de la Cour constitutionnelle puisse s’appliquer à toute action introduite devant les juridictions ordinaires. En effet, la Cour précise ce qu’est l’intérêt à agir au sens des articles 2 (recours en annulation) et 87 (question préjudicielle) pour les Ordres communautaires (article 495 du Code judiciaire). On pourrait donc considérer que cette notion de l’intérêt est propre à la Cour constitutionnelle et ne s’applique pas aux juridictions ordinaires.
En tout état de cause, il n’en reste pas moins vrai que la loi du 4 juillet 2001, en ce qu’elle institue ce rôle de défense des intérêts des justiciables, est une véritable plus-value pour la profession.