Dans une lettre ouverte publiée ce 22 mai 2025, les dirigeants de neuf pays européens, la Belgique et l’Autriche, le Danemark, l’Estonie, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la République tchèque assurent d’abord partager « une croyance ferme en nos valeurs européennes, en l’état de droit et dans les droits de l’homme » , mais se demandent ensuite si la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas, « dans certains cas, étendu le champ d’application de la Convention trop loin par rapport aux intentions initiales de celle-ci, modifiant ainsi l’équilibre entre les intérêts qui devraient être protégés ».
De quoi s’agit-il ? De migration bien sûr, ce sujet toujours plus sensible, le repli sur soi étant devenu une doctrine qui avance à visage largement découvert.
Le communiqué Belga qui reprend les propos de notre premier ministre est éloquent.
« De nombreux dirigeants européens sont frustrés par les obstacles que nous rencontrons régulièrement dans la lutte contre les criminels qui abusent de l'ouverture de nos sociétés. Cela engendre également un profond mécontentement au sein de la population européenne » , déclare Bart De Wever. « Cette lettre est un appel à prendre ce problème au sérieux et à faire enfin preuve de détermination. Malheureusement, notre pays ne connaît que trop bien ce problème. En tant que Premier ministre de ce pays, je soutiens donc cet appel sans réserve. »
Bien entendu, c’est l’aspect sécuritaire qui est mis en avant et le même communiqué met dans la bouche de notre ministre de l’asile et de la migration, Anneleen Van Bossuyt, les mots suivants : « Lorsque les interprétations juridiques entrent systématiquement en conflit avec le sens de l'équité et la réalité sur le terrain, le soutien à ce même État de droit risque d'être détruit. C'est pourquoi la Belgique soutient cet appel. Non pas pour porter atteinte aux droits humains, mais pour les rééquilibrer avec les responsabilités. Nous ne demandons pas un laissez-passer. Nous demandons la possibilité de protéger l'essentiel : la sécurité de nos citoyens ».
On ne peut que regretter de constater que les dirigeants européens, parmi lesquels les nôtres, tentent ainsi de saper les fondements de l’Union européenne que sont l’état de droit et les droits de l’homme en tentant de faire accroire que les juges de Strasbourg seraient, en quelque sorte, devenus les complices de migrants criminels qu’ils/elles ne cessent de protéger.
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Le 14 mai 2025, soit 8 jours plus tôt, la presse annonçait que Madame Nicole De Moor, ex-secrétaire d'Etat à l'Asile et à la Migration était candidate à la direction du Haut-commissariat aux Réfugiés des Nations Unies, après avoir été approchée au sein de l’Union européenne.
Il ne nous appartient pas de prendre position à propos d’une nomination qui revient au pouvoir exécutif mais encore faut-il rappeler que c’est Madame De Moor qui avait décidé de suspendre l’accueil des hommes seuls demandeurs d’asile, en contrariété avec toutes les règles nationales et internationales.
C’est elle aussi qui, à peine sèche l’encre de l’arrêt du Conseil d’Etat qui suspendait cette décision, annonçait sur les réseaux sociaux qu’elle ne l’exécuterait pas.
Et c’est encore sous son ministère que des milliers de décisions prononcées par le tribunal du travail de Bruxelles relatives à l’accueil des candidats réfugiés n’ont pas été exécutées alors que la page d’accueil du site internet du HCR met en exergue la phrase suivante : « Le HCR œuvre pour sauver des vies et bâtir un avenir meilleur pour les millions de personnes contraintes de fuir leur foyer. » ?
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Tout est-il perdu pour autant ? Non et il faut s’en réjouir !
Dans la très belle lettre remise à Madame la ministre Van Bossuyt, par les juges du Conseil du Contentieux des Etrangers (C.C.E.) précisément la veille, le 21 mai 2025, et publiée le lendemain sur le site internet de cette institution, ces magistrats affirment que, comme leurs collègues des juridictions de l’ordre judiciaire, ils ont le sentiment de ne pas être soutenus, voire d’être attaqués, et qu’ils exigent d’être traités avec respect par les pouvoirs exécutif et législatif.
On ne peut que partager leur constat selon lequel cette exigence est a minima indispensable pour leur permettre d’accomplir leur mission avec sérieux : rendre une justice de qualité dans un délai raisonnable.
Et ils rappellent quelques vérités cardinales, dont l’accord Arizona annonce la remise en cause :
- Une justice de qualité suppose l’indépendance de ses acteurs, garantie par des nominations à vie.
- Une justice de qualité ne saurait tolérer d’ingérence du pouvoir exécutif dans le contenu des décisions.
- Une justice de qualité doit aussi être garantie par le pouvoir exécutif lequel doit, comme tout justiciable, exécuter les décisions de justice.
- Une justice de qualité repose sur le débat contradictoire entre les parties. La restriction des audiences publiques porte atteinte à la nature même de la décision juridictionnelle.
- Une justice de qualité exige une législation claire et accessible.
- Une justice de qualité suppose un environnement bilingue et paritaire.
- Une justice de qualité implique une reconnaissance sociale du rôle du magistrat.
Ce rappel plus que salutaire n’est pas neuf malheureusement et la lettre ouverte à la ministre de la justice, Madame Annelies Verlinden, du 20 mars dernier à l’occasion de la Journée de l’état de droit listait déjà plusieurs de ces exigences.
Selon l’expression parlante utilisée par Madame la bâtonnière Marie Dupont « la maison est en flammes, on attend les pompiers ! ». Le C.C.E. en est une brigade, le barreau doit participer activement au sauvetage !
Stéphane Gothot, président et le conseil d’administration.