Depuis quelques années, des changements qui semblent parfois peu importants ont modifié de manière durable le rôle de la justice dans notre pays. A titre d’exemples, on peut citer la création des sanctions administratives communales et provinciales, l’inversion du contentieux de l’ONSS qui se délivre un titre exécutoire, l’inversion du contentieux dans le B2B, la déjudiciarisation d’une partie du droit de la jeunesse, la récupération des créances fiscales, la perception immédiate d’amendes en cas de vol de vélo, …
Toutes ces évolutions vont dans un même sens : retirer de la compétence normale du juge une partie de son contentieux pour, notamment, tenter de répondre de manière plus efficace à une forme de délinquance ou de désengorger les tribunaux.
Depuis quelques années, les lois émotionnelles sont de plus en plus nombreuses : elles le sont surtout en matière pénale où l’on pense pouvoir répondre de manière efficace à certaines situations qui créent une véritable émotion dans la population par une augmentation des peines ou par une augmentation du délai de prescription. Il y a un côté parfois populiste à ces modifications. Ainsi, tout le monde semblait d’accord pour dire que l’imprescriptibilité des poursuites en matière de délinquance sexuelle à l’égard des mineurs était une erreur qui pouvait engendrer une double peine pour la victime compte tenu de la difficulté d’apporter la preuve d’une culpabilité après tant d’années engendrant un risque de non-lieu. Mais, même si au Parlement, on a reconnu la pertinence de l’avis d’AVOCATS.BE sur ce point, on a adopté la loi.
Toutes ces évolutions vont dans le sens de rencontrer une opinion populaire immédiate. Elles ne sont pas le fruit d’une réflexion qui serait menée loin de cette pression. Comment concilier une volonté affirmée, mais plusieurs fois reportée, de faire exécuter toutes les peines, même les plus courtes, et systématiquement prévoir des allongements des peines minimales ? Cette simple question démontre l’absence de cohérence.
La justice a obtenu un refinancement. Les effets se font cependant attendre. On ne peut nier une certaine accélération du processus d’informatisation de la justice mais nous venions de tellement loin que l’on ne peut certainement pas parler de révolution. L’augmentation des cadres semble rester pour l’instant un vœu pieux tant l’attractivité aux fonctions judiciaires pose problème. L’arriéré judiciaire reste une problématique endémique, surtout devant les juridictions bruxelloises. Se rend-t-on simplement compte que, à partir du moment où un citoyen ne peut trouver une réponse à son problème dans le système judiciaire étatique, il risque fort de se tourner ailleurs ?
Quelle justice souhaitons-nous pour notre pays ?
Un Etat de droit a besoin d’une justice forte, efficace et indépendante. Ce que nous voyons dans certains pays proches du nôtre, dans l’union européenne, doit nous faire réfléchir. Il est plus que temps que le pouvoir politique prenne réellement conscience des dangers que court un pays dans lequel la justice ne remplit plus son rôle régalien de pacificateur social. Cela nécessite très certainement des moyens, gérés de manière indépendante, mais aussi une véritable réflexion lors de l’adoption de lois, de décrets ou d’arrêtés.
Avoir une vision à long terme pour notre justice, en y intégrant les évolutions, notamment en matière d’intelligence artificielle au service de la décision, mais également les évolutions économiques et environnementales, en rappelant son indépendance, en maintenant une exigence de qualité mais également d’efficacité et de rapidité, est un pari qu’il faut absolument relever.
Il faut aussi oser le changement même si l’on sait combien le monde judiciaire, et le monde des avocats, en est particulièrement frileux. Mais, à défaut, nous allons droit dans le mur.
Ce n’est qu’à ce titre que nous pourrons encore parler d’Etat de droit pour notre pays.
Les avocats doivent être le moteur de cette réflexion. Eux qui sont confrontés chaque jour à ces évolutions lentes de notre justice doivent être les initiateurs d’une véritable réflexion sur la justice de demain. L’avocature n’a de sens que dans le cadre d’un Etat de droit qui dispose d’une justice forte et indépendante.