Carte blanche commune AVOCATS.BE & ADVOCAAT.BE
Le 5 mai 2019, le parlement dotait enfin la Belgique d’une loi créant une base de données des jugements et arrêts. Cet outil de gestion indispensable manquait (et manque toujours !) à notre pays. Mais cette base de données est aussi et surtout un formidable outil pour faire progresser le droit et rendre la justice plus efficace, en appliquant à la base des décisions pseudonymisées l’intelligence artificielle.
Malheureusement, le gouvernement a estimé que cette loi était mal écrite, en a reporté la mise en vigueur à plusieurs reprises, et a créé des groupes de travail (pour réécrire une nouvelle loi) dont les avocats ont malheureusement été écartés, malgré leurs demandes.
Ce nouveau texte a été adopté par la commission de la justice le 20 septembre et sera voté en séance plénière le 6 octobre.
Les avocats n’ont pas été entendus sur leur demande d’une base de données intégrale et ouverte, pouvant être exploitée par des algorithmes.
Au lieu de cela, le texte actuel prévoit une limitation de l’utilisation à diverses fins, dont des fins historiques et scientifiques, mais pas pour l’application et le développement du droit !
De même, les traitements envisagés sont des indexations, ce qui correspond à des méthodes de traitement du XXe siècle, laissant de côté l’intelligence artificielle. Or, l’intelligence artificielle permet des recherches juridiques plus approfondies, plus précises. Elle permet de rechercher des solutions innovantes qui font progresser le droit. Elle permet une meilleure prévisibilité, et donc d’éviter d’introduire des procédures inutiles. Elle doit être pour le magistrat une aide efficace à la décision.
Enfin, l’accès à cette base de données dépend de la décision d’un comité de gestion dont les avocats ont été initialement totalement écartés, pour ne se voir finalement proposer qu’une place de conseillers, sans pouvoir votal, alors même qu’ils étaient de toute manière très minoritaires dans ce comité. Cette proposition est vexatoire, et non conforme à l’avis du Conseil d’Etat, qui a souligné la place de l’avocat dans le fonctionnement de la justice.
Le texte proposé au parlement est fortement affaibli parce qu’il n’est pas conforme au droit européen. En effet le règlement Data Gouvernance Act (Règlement 2022/868 du 30 mai 2022 – JO 3 juin 2022) impose la mise à disposition des données publiques, comme le sont les jugements et arrêts.
Car il faut le rappeler avec force, les décisions judiciaires sont un bien public, appartenant à l’Etat, qui doit être utilisé pour le bien commun.
Le refus du progrès vers une justice plus efficace fait de cette loi une occasion manquée, malgré plus de trois ans de gestation, à moins que le parlement ne se penche enfin sérieusement sur les amendements suggérés par les Ordres d’avocats.
Pierre Sculier,
Président AVOCATS.BE
Peter Callens,
Président ADVOCAAT.BE