Aujourd’hui est la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
AVOCATS.BE a souhaité mettre en lumière cette Journée importante en partageant quelques chiffres de base et en tentant d’en tirer quelque enseignement ou, à tout le moins, une philosophie.
Toutes les informations de cet article sont sourcées au moyen d’hyperliens.
Une dénomination perfectible
A titre liminaire, et en bon•ne•s[1] juristes, attachons-nous aux définitions et aux mots.
La déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes des Nations-Unies de 1993 définit les « violences à l’égard des femmes » comme « tous les actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ».
« Actes de violence … », sont donc exclus les comportements sexistes non violents, perçus comme moins graves, quand bien même ils causeraient un préjudice ou une souffrance ;
« … dirigés contre … » comme si les perpétrateurs étaient inconnus, les violences le fruit du hasard ;
« … le sexe féminin » et malheureusement pas (encore) « fondés sur le genre », invisibilisant ainsi les personnes non-binaires et autres transgenres et intersexes, pourtant très souvent victimes de plusieurs discriminations découlant de leur identité et de leur expression de genre [2].
La dénomination de cette Journée du 25 novembre manque ainsi certainement encore d’ambition.
Mais si l’intitulé de cette journée est perfectible, les chiffres sont en revanche très explicites. Une femme sur trois est victime de violences physiques ou sexuelles dans le monde. Une sur cinq est victime de viol en Belgique.
Violences de l’intimité
Commençons d’emblée par débunker le mythe du violeur attaquant sa proie par surprise dans une allée sombre. Elle ne correspond absolument pas à la très grande majorité des cas.
Les violences sexuelles sont la plupart du temps le fait du partenaire. Seulement 6 % des femmes dans le monde indiquent avoir été agressées sexuellement par une personne autre que leur partenaire, contre 27% qui déclarent l’avoir été par ce dernier. En Belgique, une étude l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes de 2010 indique que seulement 13 % des femmes agressées (sexuellement ou pas) déclarent l’avoir été par un inconnu contre 30 % par leur partenaire. Même constat en France : le Ministère de l’Intérieur explique que deux victimes sur trois d’agression sexuelle connaissent personnellement leur agresseur, qui est leur partenaire dans 30% des cas. Seule une victime sur cinq est agressée par un inconnu.
« De ce fait, les violences sexuelles se déroulent fréquemment au domicile de la victime, et seule une agression sur dix a lieu dans la rue ou les transports en commun. »
Pas vu, pas pris… pas crues
L’étude belge de 2010 précitée indique que les victimes de violences (sexuelles ou autres) ne portent plainte que dans une minorité des cas : 13,9% des victimes féminines et 9,8% des victimes masculines. Ce pourcentage est encore plus faible lorsque l’auteur est un parent (6,2%), il est plus élevé s’il s’agit d’un partenaire (17,9%) ou d’un inconnu (21,1%).
Peu déposent plainte donc, et pour cause : porter plainte est loin de constituer une garantie de condamnation. Une étude menée en Grande-Bretagne indique que seuls 14% des viols dénoncés donnent lieu à un procès, 8% à une condamnation. Une étude française indique qu’en 2019, seuls 35 % des auteurs de violences sexuelles dans des affaires traitées par les parquets ont « fait l’objet d’une réponse pénale » (le plus souvent des poursuites) ; le nombre de condamnations n’y est pas précisé.
Nombreux sont les témoignages de femmes expliquant n’avoir simplement pas été crues. En Belgique, 39% des hommes et 25% des femmes pensent que les femmes accusent souvent à tort. Pourtant, les fausses allégations sont rares (2 à 10 % selon une étude menée sur 10 ans).
Et l’avocat•e dans tout ça ?
Certain•e•s se souviennent peut-être avoir entendu cette phrase, en entamant leurs études de droit : « Regardez votre voisin de gauche, celui de droite ; seul l’un de vous trois réussira ». Entre femmes, le ratio est le même, mais l’enjeu plus destructeur. Celle des trois étant, statistiquement, victime de violences peut se dire, en regardant ses voisines de gauche et de droite, que peut-être celles-ci ont été épargnées. Si la violence dont elle a été victime est un viol, elle pourra porter son regard sereinement sur une quatrième et une cinquième ; à la sixième elle aura déjà posé les yeux sur une autre survivante.
Cette perspective n’est-elle pas abyssale ?
Combien de femmes côtoyons nous chaque jour ? Combien de victimes ? Dans les auditoires, les palais, les séminaires, les prisons. Dans les salles de spectacle. A la caisse des supermarchés.
L’avocat•e amené•e à rencontrer une victime venue lui demander conseil aura à coeur de trouver les mots et les gestes justes, exercice ô combien difficile. Conseiller cette victime ne sera pas chose plus aisée : faut-il l’inciter à porter plainte sachant que celle-ci risque de ne pas aboutir ? La souffrance de la victime sera-t-elle diminuée du simple fait d’avoir dénoncé les faits ou accrue face à la probable non-condamnation ? AVOCATS.BE entend bien participer à cette réflexion et planche sur l’idée d’une formation relative à l’assistance des victimes de violences sexuelles et violences intrafamiliales.
Mais ne serait-il pas tout à notre honneur de garder ces chiffres à l’esprit dans toutes nos relations, tant dans l’exercice de notre profession que dans un cadre privé ? Et surtout d’en tenir compte, d’éviter de perpétuer le traumatisme d’une sur trois, d’une sur cinq. D’avoir les mots et les gestes justes dans les auditoires, les palais, les séminaires, les prisons. Dans les salles de spectacle. A la caisse des supermarchés.
C’est un effort. Pas une perte de liberté mais un choix. En toute connaissance de cause.
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[1] Vous nous pardonnerez, cette fois, l’usage (raisonnable) de l’écriture inclusive.
[2] Oui, les hommes cisgenres peuvent également être victimes de violences, mais ce n’est pas le sujet traité ici.